Histoire de la station

 

Le Lioran, l’une des stations de ski les plus anciennes en France, puisqu’on y skie depuis plus de 100 ans, a étonnamment une histoire assez simple. En effet, le développement du lieu s’est fait de manière très saccadée avec quelques « pics » de développement, et beaucoup de périodes de calme plat. Malgré tout, pour en arriver au lieu que nous connaissons aujourd’hui, de nombreuses années de travail ont été nécessaires. Nous essayerons donc dans cette page de retracer  précisément l’histoire de la station du Lioran.

 

Les prémices de la station

 

Au cœur du Massif du Cantal, et plus exactement au Pied du Plomb du Cantal, se trouve le col du Lioran (celui-là même que l’on connait désormais plus sous le nom de Prairie des Sagnes), culminant à 1237 mètres d’altitude. Cet endroit, recouvert alors par la Forêt du Lioran, est défriché dans le courant du XVIIIe siècle pour laisser place à la Prairie que nous connaissons actuellement. Surtout utilisé pour le pâturage, il permettra la construction d’un premier buron au XIXe siècle.


L’homme s’est longtemps tenu éloigné de cet endroit même si c’est le point de passage le plus bas entre l’est et l’ouest des monts du Cantal. Il utilise pour circuler l’ancienne Via Celtica romaine qui passe de l’autre côté du Plomb du Cantal au col de Prat-de-Bouc (1396 m) jusqu’à la création de la route royale n°126 par les intendants au XVIIIe siècle. Cette route, à destination militaire, franchit pour la première fois le col du Lioran. En fait pas exactement, le versant du col vers Aurillac comporte une ravine profonde et la route est établie à la place par le col de Font-de-Cère (1289 m) au pied du Puy de Masseboeuf (aussi appelé puy du Lioran). Côté Font d’Alagnon, la route monte en lacets serrés jusqu’au col avant de redescendre lentement de l’autre côté. Cette partie entre Font d’Alagnon et le col aura un rôle dans le développement initial du ski au Lioran.

 


Le site du Lioran, alors à l’état quasiment sauvage.

 

Le Lioran bascule dans l’ère moderne en 1843, année où est inauguré le premier tunnel du Lioran, que l’on qualifiera de « routier » même si à l’époque on en est loin, mais il servira au trafic routier pendant 160 ans jusqu’à l’inauguration du nouveau tunnel en 2007. La construction de ce tunnel a été décidée par le préfet du Cantal face à la difficulté au XIXème siècle de franchir le col de Font-de-Cère. L’hiver l’endroit est recouvert par des congères de plusieurs mètres et exposé à des vents violents, ce qui rend cet itinéraire impraticable d’octobre à avril, voir même complètement bloqué. Mais il y aussi une dimension psychologique à sa construction : les hommes fuient le passage par peur du brigandage, de l’attaque des loups (si !) et de façon générale, la sombre forêt du Lioran entretient toute sorte de légendes. Le tunnel de 1414 m est percé en 4 ans et, à son inauguration, c’est le plus long et le plus haut tunnel du monde.

 


Le tunnel routier du Lioran lors de ses premières années.
(Archives départementales du Cantal, Collection "Le Lioran")

 

A ce stade, il faut cependant bien comprendre que ce n’est pas de cette route ou de ce tunnel que naîtra la station du Lioran. En effet, le Lioran doit avant tout son existence et son développement au chemin de fer.


Le XIXe siècle, et particulièrement sa seconde moitié, marque l’âge d’or du développement du transport ferroviaire en France, avec l’ouverture de nombreuses lignes dans tout le pays. Aujourd’hui, beaucoup de ces petites lignes construites à l’époque sont fermées définitivement à tout trafic ferroviaire, pour mieux se concentrer sur les plus grands axes. Cependant, certaines ont subsisté, fort heureusement ! C’est le cas de la ligne 720000, autrement appelée ligne de Figeac à Arvant, et qui permet de traverser le département du Cantal d’Est en Ouest. La construction de cette ligne n’a pas eu lieu de manière continue, et n’a par ailleurs pas été simple. Tout d’abord initiée par la Compagnie du chemin de fer Grand-Central de France ; après la disparition de celle-ci en 1857, elle sera entièrement prise en charge par la Compagnie du Paris-Orléans. Le profil difficile de la ligne, dû aux endroits traversés, notamment les monts du Cantal, rend cette construction longue et pénible, et c’est par tronçons que l’ouverture va avoir lieu. Les premiers travaux sont lancés en 1853, mais ce n’est qu’après 8 ans de travaux que peut enfin ouvrir le 5 novembre 1861 le premier tronçon de cette ligne, entre Arvant et Massiac, tronçon dont la longueur n’excède pas 23 km, mais qui comporte la bagatelle de 170 ouvrages d’art ! Par la suite, pour accélérer les travaux, la construction se réalise en simultané des deux côtés du Massif Cantalien : ainsi le tronçon entre Massiac et Murat, long de 35 km, ouvre le 16 août 1866, tandis que le tronçon Aurillac-Figeac, d’une longueur de 65 km, ouvre le 12 novembre 1866. Cependant, le plus dur restait encore à venir : la liaison entre ces deux parties, soit le tronçon Murat-Aurillac, qui aura une longueur de 48 km. Les obstacles sont très importants sur cette section puisque la rudesse du climat hivernal au col du Lioran ne permet tout simplement aucune circulation à cet endroit, que ce soit par la route (d’où la construction du tunnel routier entre 1839 et 1843) ou par le chemin de fer. Il fut donc décidé de la réalisation d’un second tunnel du Lioran. Long de 1958 m, le percement de celui-ci aura nécessité plus de 3 ans, d’avril 1865 à mai 1868, le tout sous la direction de l’ingénieur Whilhelm Nördling, pour une somme s’élevant à l’époque à 37 millions de Francs. Pour accélérer les travaux, le tunnel sera attaqué sur 4 fronts en utilisant le tunnel existant pour atteindre le milieu du futur tunnel ferroviaire et commencer à y creuser. C’est donc officiellement à partir du 20 juillet 1868 que l’on peut voyager en train de Clermont-Ferrand jusqu’à Montauban.

 


La gare de Neussargues, l’une des principales gares de la ligne de Figeac à Arvant.



Les deux tunnels du Lioran, avec en premier plan le tunnel ferroviaire.
(Archives départementales du Cantal, Collection "Le Lioran")

 

Néanmoins, il faudra encore attendre quelques années avant que le lieu-dit du Lioran profite de cet atout. En effet, ce n’est qu’en 1886 qu’est construite la petite gare du Lioran, toujours fonctionnelle de nos jours. C’est clairement de ce bâtiment que tout est parti : la Compagnie du Chemin de Fer de Paris-Orléans, décelant, la première, le potentiel touristique du site, favorise rapidement  la construction de deux hôtels annexes à la gare : l’Hôtel Daude en 1896 et l’Hôtel des Touristes, qui lui appartient en propre, en 1899 (ce dernier a d’ailleurs été détruit en 2010). Bien lui en a pris puisque le lieu rencontre immédiatement un certain succès, particulièrement durant la saison estivale (d’ailleurs les hôtels ne sont pas chauffés l’hiver au début !). Mais la réelle vocation du lieu ne se révèlera que quelques années plus tard.



La gare du Lioran et son château d’eau, depuis la route.

 


Et de nos jours, le lieu n’a guère changé. (Collection Laurent Berne – remontees-mecaniques.net)

 


Les deux hôtels du Lioran : en premier plan, l’Hôtel Daude, et en second plan l’Hôtel de la Compagnie d’Orléans. (Archives départementales du Cantal, Collection "Le Lioran")

 


L’Hôtel de la Compagnie d’Orléans.
(Archives départementales du Cantal, Collection "Le Lioran")

 

Le tournant de 1906

 

C’est en cette année 1906 que la station de sports d’hiver du Lioran va réellement naître. En effet, à cette date, les premiers skieurs arrivent grâce au train sur le site, attirés par sa topographie et son climat hivernal propice à la pratique des sports d’hiver. En ce début du XXème siècle, le ski débarque en Auvergne. Le premier skieur auvergnat « historique » est l’abbé Blot en 1902 à Besse.


C’est donc durant l’hiver 1906 que les prairies du Lioran, alors complètement à l’état naturel, sont foulées pour la première fois par ces spatules en bois communément connues désormais sous le nom de skis (sachant qu’à l’époque, il s’agissait uniquement de ski de fond). Une fois encore, le succès est très rapidement au rendez-vous, le chemin de fer permettant d’acheminer une grande quantité d’amateurs de neige, et ainsi le Lioran devient un haut lieu du tourisme hivernal dans le Cantal.

 


Les premiers skieurs du Lioran sont acheminés par le train. (Collection Laurent Berne – remontees-mecaniques.net)

 


Affiche de la Compagnie d’Orléans promouvant le Lioran et son hôtel.
(Archives départementales du Cantal, Collection "Le Lioran")

 

Le développement de cette nouvelle activité est alors lancé avec un remarquable engouement : en 1908, on crée le Ski Club du Lioran, avec le soutien de la Compagnie du Chemin de Fer de Paris-Orléans, dont le siège était alors basé à Murat. Le nombre de membres est alors estimé à une centaine, soit une assez grosse structure déjà pour l’époque. Le Touring Club de France agit aussi beaucoup pour la promotion de la nouvelle discipline dans le Cantal. Il offre ainsi des paires de ski aux facteurs, aux gardes forestiers, aux cantonniers et diffusent une plaquette sur les façons de les utiliser. Les artisans locaux se mettent à fabriquer l’équipement nécessaire. Des associations de skieurs apparaissent ici et là. Ce sont des années d’effervescence où le ski, faute d’être devenu une pratique de masse, attire des centaines de curieux au Lioran via le train.  Avec l’apparition de ces structures, les premiers évènements peuvent alors être organisés : dès  1908, « l’excursion du Lioran » avec montée en ski au Plomb du Cantal, trains spéciaux et ouverture hivernale exceptionnelle des hôtels pendant 3 jours. Un succès avec  500 spectateurs.  Mais aussi la même année des compétitions de ski de fond, de vitesse et de saut organisées par le ski club. Pour l’hiver suivant (1910), le chauffage central est installé à l’hôtel du Paris-Orléans qui ouvre pour la première fois pour la saison hivernale du 23 janvier au 14 février. Des compétitions sont organisées pendant les 3 semaines (course régionale de 6km le 30 janvier, puis le 3 février un concours de saut avec présences de 6 sauteurs norvégiens à Font d’Alagnon qui sautent 20-25m pendant que les locaux arrivent péniblement à 5m, suivi de la clôture de la saison, le 14 février, par une course militaire). Pour l’anecdote (les montagnes du Cantal ne se refont pas du moins avant les canons à neige), la neige manque à l’ouverture de la saison le 23 janvier, mais tombe en abondance le 26 : 700 ouvriers et militaires d’Aurillac sont employés pour damer les pistes. Eh oui, il n’y avait pas encore de dameuse à l’époque !

 


Des membres du ski club du Lioran dans les années 1910.
(Archives départementales du Cantal, Collection "Le Lioran")

 

Mais c’est surtout en 1911 que le Lioran peut enfin briller, non pas à un niveau régional, ni même national, mais bien à l’international ! Cette année-là, le Club Alpin Français décide d’attribuer au Lioran l’organisation du Concours International de Ski, évènement alors encore jeune puisqu’il s’agira là de sa cinquième édition, mais qui a déjà rencontré un certain succès les années précédentes, et qui marque les premiers pas dans le monde de la compétition des sports d’hiver. Par ailleurs, cet évènement, qui connaitra au total 18 éditions, fut à l’origine de la création des Jeux Olympiques d’Hiver en 1924, à Chamonix Mont-Blanc. C’est évidemment une aubaine pour le petit lieu-dit, qui en profitera comme il se doit. Ayant lieu sur 5 jours, du vendredi 10 février au mardi 14 février 1911, il regroupe plusieurs épreuves comme des courses de fond, de la vitesse, une sorte de biathlon antique (tir et ski) et surtout l’épreuve reine de l’époque : le saut à ski. Cette manifestation permet d’attirer des athlètes d’horizons plutôt lointains, puisqu’en plus de la France sont représentés l’Italie, la Suisse, la Suède et la Norvège par leurs équipes militaires. Un tel « casting » attire de très nombreux spectateurs puisque rien que pour la journée du dimanche 12 février, on dénombre plus de 7000 curieux qui ont fait le déplacement, la plupart grâce, encore une fois, au train, sachant que la Compagnie d’Orléans, toujours fortement impliquée dans le développement du lieu, a mis en place tout un dispositif avec notamment des trains spéciaux pour permettre l’acheminement d’un maximum de monde sur place (chaque jour, pas moins de 6 trains desservent la gare du Lioran). Parmi tous ces spectateurs, on notera la présence de pas moins de 2000 étrangers, avec quelques personnalités comme l’ambassadeur d’Italie. S’il ne fallait choisir qu’un seul point de départ historique au développement du ski en Auvergne, la réponse serait évidemment cet évènement.

 


La fameuse affiche promotionnelle du Concours de Ski International. (Archives départementales du Cantal, Collection "Le Lioran")

 

Rebelote prévue en 1912 avec la Grande Semaine du Touring Club de France qui, après les Alpes, les Vosges, les Pyrénées doit se dérouler cette année-là au Lioran entre le 26 janvier et le 3 février, avec excursions en traineaux et toujours 50% de réduction accordée sur l’acheminement en train. Cependant la température en janvier est printanière. L’événement est décalé une première fois au 8 février avant d’être purement et simplement annulé « la mort dans l’âme » et reporté à l’année suivante. Pas plus de chance un an plus tard, la Grande Semaine, fixée du 17 au 26 janvier 1913, est de nouveau annulée le 11 janvier par manque de neige. Et pourtant dès le lendemain, la neige tombe en abondance faisant regretter à beaucoup l’annulation mais ouvrant une grande saison de ski.


L’hiver 1914 est un très bon cru avec 6 compétitions sportives et internationales de ski de fond, courses militaires et concours de saut pendant le mois de février. Une souscription est lancée pour la construction d’une chapelle à côté des hôtels et rencontre beaucoup de succès si bien que les travaux commencent dès le printemps (chapelle détruite finalement en 2006 pour laisser la place à la route nationale).


Malheureusement, ce bel élan de départ sera brutalement stoppé.

 

Le calme de l’Entre-Deux-Guerres

 

Le contexte historique peut tout à fait expliquer ce net arrêt du développement de la station : à partir de 1914, et jusqu’en 1918, la Première Guerre Mondiale fait rage en Europe, la France étant l’une des premières nations concernées par ce conflit. Une mobilisation générale est décrétée pour tous les citoyens français masculins en âge de se battre. On comprend donc que tous les potentiels skieurs et travailleurs du Lioran ne purent être présents à cette époque. Au-delà, les effectifs du ski club ont été décimés par la Grande Guerre. Ces 4 années ont été une véritable période noire pour le lieu, qui en ressentira encore les conséquences pendant plusieurs années après la fin du conflit.


D’ailleurs cette période de l’Entre- Deux-Guerres est particulièrement calme au niveau du développement du Lioran. On note, cependant, la renaissance en douceur du ski au Lioran vers la fin des années 1920. L’entrain de l’avant-guerre revient peu à peu.


En 1927, le ski-club se reconstitue. Il s’agit au départ uniquement de ski de fond. Cela sera d’ailleurs illustré par la participation d’un natif de la région, Alfred Jacomis, aux JO d’hiver de 1936 à Garmisch-Partenkirchen, ainsi que la victoire du championnat de France de Grand Fond 32 km en 1939. Pour cet homme à la condition exceptionnelle, le ski n’était pas un sport mais d’abord un outil de travail qui lui permit en hiver de ramener trente litres de lait depuis le buron situé dans les alpages jusqu’à la ferme familiale dans la vallée.


Parallèlement à cela, on commence à communiquer pour assurer la promotion du lieu, et ce jusqu’à la capitale (exposition de sports d’hiver à la Gare d’Orsay en 1937). Cette promotion permettra également un premier élargissement des activités proposées puisqu’en 1932, la première piste de ski de descente est défrichée : partant du Puy de Masseboeuf, elle permet de rejoindre le Col de Font de Cère puis Font d’Alagnon par la route du col, recouverte de neige durant l’hiver. Pour sa partie haute, il s’agit de l’actuelle piste verte de Font de Cère, la première piste historique de la station. Ce développement se poursuit avec l’organisation en 1937 d’un premier concours de descente du Plomb du Cantal, ainsi qu’un concours départemental entre scolaires, avec les encouragements de l’inspection académique ! En 1938, le ski club organise un concours interdépartemental entre les skieurs de la Corrèze, du Puy-de-Dôme, de Lozère, de Haute-Loire, de Haute-Garonne et du Cantal.


Cependant l’Entre-Deux-Guerres connait le début du développement du ski alpin, introduit par les anglais, et Le Lioran rate le coche alors que Le Mont Dore qui a inauguré son téléphérique (et 2 téléskis) en 1936, reçoit dès 1937, 30000 skieurs pendant la saison (« la troisième station de ski de France »).  Au Lioran, malgré l’engouement local pour le ski, les installations restent rudimentaires et il n’y aucun moyen mécanisé de remonter les pentes.  S’y ajoute une influence néfaste locale de certains à faire évoluer les choses : « si on commence à leur faire des remontes pentes, il faudrait aussi leur faire des systèmes pour les descendre » dit ainsi l’entraîneur de Jacomis.

 


Le téléphérique n°1 du Mont-Dore, datant de 1936 et toujours en place de nos jours. (Collection Laurent Berne – remontees-mecaniques.net)

 

Mais voilà, une autre guerre éclate en 1939, guerre qui durera 6 ans, et dans laquelle la France sera une fois de plus totalement impliquée, et passera même pour un temps sous domination Allemande. Contrairement à la Première Guerre Mondiale, cette Seconde Guerre n’aura pas le même effet « dévastateur » pour le Lioran (à part la bataille du Lioran en août 44 sur fond de retraite allemande qui vit la mort de 11 maquisards et 8 soldats allemands). L’endroit a eu le temps de grandir, et parvient à trouver, malgré tout, une nouvelle mobilisation générale des amateurs de sports d’hiver parmi les populations encore sur place. Preuve en est, le Stade Aurillacois crée sa section ski en 1942 emmenée par Jean (« Jeannot ») Malroux. Ils ont fait le choix clair de la pratique du ski alpin. Qui plus est, grâce au volontariat, les week-ends de cette période sont utilisés pour défricher de nouvelles pistes. Ainsi, on  la création de la piste rouge du Remberter daterait de  cette époque. Ayant déjà une vocation à accueillir les compétitions, elle verra l’organisation en 1950 du Championnat d’Auvergne de Ski Alpin. L’épreuve de descente fait 2 km de long. Elle part du Puy du Rocher, emprunte cette piste du Remberter avant d’arriver dans la prairie des Sagnes. Le tout bien sûr de manière très « artisanale » : infrastructures quasi inexistantes, aucun moyen mécanisé de remonter. Un problème auquel certains allaient bientôt trouver une solution sur une autre pente du Massif.

 

La première station de Masseboeuf

 

En effet, avec son succès grandissant, le Lioran avait besoin de nouveaux aménagements pour fidéliser cette clientèle. Bien sûr, à l’époque, aucune structure ne gère le site, et chacun peut, s’il le souhaite, apporter sa pierre à l’édifice. Ainsi, de cette période d’après-guerre, on retiendra un nom : celui d’Auguste Basile, un gérant de discothèques Aurillacois. Celui-ci, totalement séduit par le lieu, décide de participer à son développement, notamment en trouvant un moyen d’attirer une clientèle encore plus large. Il va donc aller visiter les établissements de l’entreprise Pomagalski à Grenoble, alors en plein essor, et dont le produit phare de l’époque est le téléski à perches débrayables (à la suite du premier modèle installé en 1936 aux Gets). De ce voyage, M. Basile retiendra le concept du moyen mécanisé pour remonter la pente. Il va donc se lancer, avec quelques amis, dans la construction d’un téléski artisanal à enrouleurs  sur les pentes du Puy de Masseboeuf, sur le tracé exact de l’actuel télésiège de Masseboeuf. Ce dernier ouvre pour l’hiver 1947. Bien sûr, l’engin n’a absolument rien à voir avec les téléskis que l’on peut encore croiser de nos jours : ses pylônes en bois sont un bon exemple de cet aspect « sommaire ».

 


Le téléski de Masseboeuf dans sa première version. (Collection Laurent Berne – remontees-mecaniques.net)

 


Font de Cère au début des années 50. (Collection Laurent Berne – remontees-mecaniques.net)

 

Victime de son succès, l’appareil montre rapidement de grosses faiblesses, notamment au niveau de sa fiabilité mécanique. C’est pourquoi Auguste Basile revend dès 1953 l’installation aux frères Bouniol, membres du ski club du Lioran. Ils vont rapidement entreprendre une rénovation et une fiabilisation de l’appareil avec l’aide des artisans locaux : les pylônes en bois sont remplacés par des portiques métalliques, le trajet devient plus confortable et surtout sans panne. A partir de 1955, on agrandit le domaine qui se réduit alors uniquement à la piste de Font de Cère : les pistes de la Parallèle, de la Stade (piste de slalom) et de la Nouvelle sont ainsi créées.


Finalement, le téléski à enrouleurs étant assez contraignant, notamment à cause de son débit très limité, il est remplacé par un appareil neuf à perches débrayables signé Poma qui ouvre pour le début de la saison 1962/1963.


Dans ces années 50 du début de la station, la section ski du Stade Aurillacois s’est muée en école de ski sous l’impulsion de Paul LACASSAGNE qui sera l’un des créateurs de l’ESF du Lioran. L’autocar emmène les jeunes à la neige en bas du Puy de Masseboeuf, à côté du chalet du Stade Aurillacois construit en bas de la remontée.


Le train continue de jouer un rôle de premier plan dans ce développement. Un aurillacois, Lucien Hugon, a l’idée de créer les « Jeudi de Neige » en 1955 et d’envoyer skier en train la jeunesse du Cantal en milieu de semaine avec l’aide des fédérations laïques. L’encadrement est assuré par les instituteurs du département qui avec l’aide de l’inspection d’académique vont se former aux joies du ski. Bientôt un instit sur deux « goûte » la neige dans l’hiver sous une forme ou une autre. Les jeunes skieurs sont 150 la première année. Le train spécial part de la gare d’Aurillac à 13h et revient après la fermeture des pistes. Devenues « Mercredi de Neige », ces sorties « meed-week » perdureront pendant 40 ans, comptant jusqu’à plus d’un millier d’enfants et d’adolescents le mercredi sur les pistes du Lioran et formant des générations de skieurs cantalous qui vont au ski comme on va à la pêche : naturellement.

 

La création de Super Lioran

 

Finalement, avec le succès grandissant de la station de Masseboeuf, le potentiel du site finit par sauter aux yeux des décideurs publics de l’époque, sachant qui plus est que la période des années 1950-60 sera particulièrement prolifique concernant la création de nouvelles stations en France : on peut ainsi prendre pour exemple Super-Besse en 1961, les Arcs en 1968, les Menuires en 1964 ou encore la Plagne en 1961.


Le Conseil Général du Cantal, devenu propriétaire de la plupart des terrains, lance alors une concertation concernant l’avenir du Lioran. Hector Peschaud, président du Conseil Général de l’époque et sénateur du cantal de 1946 à sa mort en 1968, valide avec le Docteur Maurice Delort de la vallée de Vic-Sur-Cère ainsi que les élus locaux, un plan de développement du site en 1959, dont l’attrait touristique n’est plus à démontrer et serait très bénéfique pour un département qui, à l’époque, n’exploitait absolument pas tous les atouts naturels dont il disposait. Le point central de ce plan consiste alors en la création d’un téléphérique permettant de rejoindre le Plomb du Cantal, point culminant du Massif Cantalien, et second sommet du Massif Central. Pour mettre en œuvre ce projet, on n’hésite pas à déployer les grands moyens, notamment grâce au soutien sans faille de Georges Pompidou, alors fraîchement nommé Premier Ministre, et natif de la région (Montboudif, dans le nord du département). Le 14 février 1962 le groupement d’urbanisme du Lioran est créé par décret commun des Ministres de la Construction et de l’Intérieur. Il regroupe les 5 communes d’Albepierre-Bredons, Brezons, Lavessière, Paulhac et Saint-Jacques-des-Blats sous la tutelle de l’Etat pour l’établissement d’un plan d’urbanisme commun. Ces groupements d’urbanisme, issus de la loi de 1943 et mis en place par l’Etat, ne sont pas rares à l’époque mais ils sont plutôt l’apanage des grandes agglomérations.


 On fait ainsi appel, à travers la structure du groupement d’urbanisme, aux spécialistes de l’aménagement des stations de sports d’hiver, des ingénieurs des Pont et Chaussées de Savoie, des architectes (dont Maurice SILVY collaborateur de Jean Prouvé) et au célèbre Emile Allais, connu pour ses nombreuses réalisations : premier moniteur de ski de l’ESF, inventeur du métier de pisteur-secouriste, du damage, créateur des stations de Squaw Valley et Sun Valley aux Etats-Unis ou encore Courchevel. En faisant appel à cet homme, le Conseil Général du Cantal s’est donc appuyé sur une « valeur sûre » pour la création de sa station.


En 1962, les premiers tracés du futur téléphérique sont élaborés. Ils sont alors au nombre de deux, suscitant quelques « querelles de village ». En effet, le premier tracé prévoit un départ au « vieux » village du Lioran, à proximité de la gare SNCF, sur le territoire communal de Laveissière tandis que le second préconise un départ à proximité de Font-de-Cère,  sur le territoire communal de Saint- Jacques-des-Blats. A noter que ces deux tracés envisagent une arrivée plus en amont, voire sur le sommet même du Plomb du Cantal. A côté de ce projet central étaient également prévus en 1962, la création de pistes et d’une dizaine de téléskis sur les versants Lioran et Prat de Bouc, oubliant pour le moment le versant Masseboeuf, déjà occupé par l’installation modernisée des frères Bouniol. 3 pôles d’urbanisation sont imaginés, reflet des équilibres des intérêts communaux : Font-Alagnon, Font-de-Cère et Prat-de-Bouc. Finalement, en 1963, sous l’impulsion de la  Commission Interministérielle d’Aménagement de la Montagne et d’Emile Allais, les tracés du téléphérique proposés dans un premier temps sont abandonnés au profit d’un départ situé dans un endroit alors totalement à l’écart des aménagements réalisés dans la première moitié du XXe siècle : la Prairie des Sagnes. Selon ces techniciens, cette prairie constituerait alors le centre névralgique de la station et le point de convergence des pistes et des remontées des différents secteurs du domaine skiable.

 


Extrait du plan d’aménagement de 1962 : on aperçoit clairement les 2 variantes du téléphérique proposées. (Archives départementales du Cantal, Collection "Le Lioran")

 


Les différents projets envisagés sur une carte plus récente. (© Geoportail – Collection Laurent Berne – remontees-mecaniques.net)

 

Ce projet sera retenu et définitivement validé la même année, et Georges Pompidou intervient une nouvelle fois pour aider le département à financer ce très ambitieux aménagement. Hector Peschaud est fier d’annoncer lors d’une séance du sénat de fin 1964 que l’Etat va « financer par un prêt du F.D.E.S de 200 millions, susceptible d’être complété par une intervention du F.I.A.T., la construction d’un téléphérique et de remontées mécaniques » au Lioran dans le Cantal. 200 millions, de « nouveaux francs » depuis 1959 ? Sans doute une erreur de transcription. A la même époque, la construction du téléphérique du Lys à Cauterets coûte 6 millions en 1961 et celle de la télécabine de la Grande Rochette en 1965 à La Plagne, 8 millions. D’ailleurs le premier versement au titre du FDES en 1964 n’est que de « 1.3 millions ».


Le groupe d’urbanisme perdurera de 1962 à 1971, avant de renaitre brièvement en 1975/1976.
A partir de l’obtention du financement, une régie départementale est créée pour gérer la future station. D’autres organismes départementaux interviennent pour initier le développement immobilier prévu. Jusqu’en 1993, la construction et le développement  du domaine du Lioran sera une initiative 100% publique !


A partir de là tout va très vite puisque, parallèlement à la construction du téléphérique, qui s’étalera sur deux ans et demi, entre 1965 et 1967, les téléskis de la Gare, du Remberter, des Débutants et des Gardes sont construits. Les premières pistes sont tracées dans la foulée. L’inauguration officielle du téléphérique a lieu les 10 et 11 juillet 1967, en présence de Georges Pompidou (le parrain !). Puis vient le tour des téléskis du Plomb du Cantal et du Puy du Rocher en 1968, de la Jambe, du Slalom et  de l’Aiguillon en 1969. Parallèlement à cela, le domaine s’étend sur le puy de Masseboeuf, les téléskis de la Prairie et de Font d’Alagnon, ouvrent aussi pour la saison 69/70, avec la création de nouvelles pistes sur ce versant. Ne reste plus qu’à intégrer à cette nouvelle station ex-nihilo le téléski des frères Bouniol. Les négociations  commencent en 1968 et aboutissent pour le début de la saison 69/70.

 


L’inauguration du téléphérique en 1967, en présence de Hector Peschaud et Georges Pompidou, en premier plan. (Archives du Cantal, Collection La Montagne)

 


Le téléphérique lors de sa première année de fonctionnement. (Collection Laurent Berne – remontees-mecaniques.net)

 

Ainsi, dès le milieu des années 1970, la quasi-totalité du domaine skiable actuel du Lioran est déjà créée.

 


Le col de Prat de Bouc, qui avait alors comme seule attraction son buron, fera également partie des plans d’aménagement du domaine skiable du Lioran.

 

Les années glorieuses du Lioran

 

Quasiment immédiatement après sa création, la station de Super-Lioran connait un démarrage exponentiel. La clientèle locale est  présente en masse, d’autant plus que la concurrence dans la région n’est pas très importante, mais la station draine aussi une nombreuse clientèle venue des départements voisins (l’Aveyron, le Lot, la Corrèze…)  ainsi que de Paris (essentiellement les bougnats expatriés et attachés au pays). Le Lioran est rapidement victime de son succès, à tel point que les périodes de pointe comme les week-ends et les vacances scolaires deviennent vraiment problématiques, notamment au niveau des files d’attente aux remontées mécaniques vite ingérables. Cela nécessite dès le début des années 70, un plan d’amélioration du domaine skiable qui consistera principalement en une augmentation du débit des remontées. Dès 1974, le téléski du Plomb est doublé avec le téléski du Refuge. Dans le même moment, les télébabies sont multipliés pour l’apprentissage, la station se voulant avant tout « familiale »: Font de Cère (73), Prat de Bouc (73) et Font du Roy (76). Et dès 1972, on commencer à imaginer une extension du domaine vers le col de Rombière.

 


La fameuse piste de la Familiale, ici durant les années 70. Cet axe majeur de la station est l’illustration des évolutions du site, notamment à cause de ses élargissements successifs.

 

Les années 1970-1974 voient aussi un fort développement immobilier. Si avant la station, il n’existait que 2 vieux hôtels datant de la fin XIXème et des auberges de voyageurs plus anciennes au col et au tunnel, Le Lioran devient en quelques années une petite ville à la Montagne. Les débuts sont timides avec les résidences de Font d’Alagnon, mais une fois le problème de l’approvisionnement en eau potable résolu (que l’on confie en 1970 au BRGM qui aboutit à captage du torrent de la Gouyère de l’autre côté du Rocher du Cerf – un vrai paradoxe pour une station de neige), l’immobilier s’envole. Tout avait été préparé avec la nouvelle route du col de Cère que l’on construit en 1967/1968, encore une fois généreusement financée par l’Etat. Il faut dire que le Super-Lioran, centré autour de la Prairie des Sagnes, manque de place contrairement aux stations alpines ou à Super-Besse qui se développent à la même époque. C’est une station à la clientèle locale importante : de vastes parkings doivent être prévus. Politiquement, il faut aussi répartir équitablement les bénéfices des nouvelles résidences entre les communes partenaires. Pour que la commune de Saint-Jacques-des-Blats ne soit pas lésée, on imagine une urbanisation en chapelets le long de la route du col, surtout des grandes résidences de vacances, mal ou pas du tout desservies par les pistes et les remontées. Ce sera pour l’avenir le grand défaut du Lioran que le conseil Général ne cessera de vouloir corriger. Super-Lioran ne sera pas tout à fait une station 100% intégrée.

 


La prairie des Sagnes, à l’époque avec comme seule construction la gare de départ du téléphérique.

 

De nombreux bâtiments surgissent en quelques années à la Prairie des Sagnes, sur le Rocher du Cerf ou le long de la nouvelle route, à l’initiative privée ou du département : l’hôtel du Saporta est livré en 1970, la Tour Sumène en 1971, l’altitude 1500 en 1972. Un centre de vacances IBM France s’installe. Des résidences locatives sont construites à Font-de-Cère. Et le Rocher du Cerf voit l’arrivée de 2 hôtels ainsi que les premiers chalets privés. Les villes de Limoges et de Brive investissent dans des centres de vacances pour leurs jeunes. La ville du Mans est prête elle-aussi à suivre le mouvement avant de renoncer. La période finit par l’inauguration du chalet FAL en décembre 1973.

 


En premier plan, la Tour Sumène, témoin du passage des années 70 au Lioran.

 

La station de ski est devenue lieu de résidence de vacances.


L’immobilier est de nouveau poussé par le Conseil Général à la tout fin des années 1970 qui va chercher un grand architecte italien, Vittorio Mazzuconi, pour « boucher » le trou laissé à côté de la tour Sumène en 1971. Il va dessiner en 1977 ceux qui sont sans doute les plus élégants immeubles du Lioran avec le bâtiment cylindrique du Saporta (« le Rond Point »). Il imagine trois bâtiments entourant un square de neige (le Village du Haut Lioran) comme un lieu de convivialité à la Montagne. Le promoteur immobilier parisien SPDI finance les appartements pendant que le département commande au même architecte la construction d’une patinoire. Ce sera « L’arche des Neiges » saluée par de nombreux critiques architecturaux, un bâtiment tout en courbe s’intégrant parfaitement dans le site. La «patinoire » simplement pour les habitués du Lioran avec le choix initial pas très heureux d’une surface de skate en plastique, mais qui vivra pendant quelques années l’aventure d’une équipe de hockey sur glace : les Mouflons du Lioran.

 


Le projet du Village du Haut Lioran tel qu’imaginé par Vittorio Mazzuconi.

 


La patinoire du Lioran au début des années 80, peu après son ouverture.

 

A la fin de la décennie, le Lioran est devenu le premier domaine skiable du Massif Central par la taille de son domaine et son équipement.


Le début des années 80 sera une période d’intense modernisation du domaine skiable. Il faut savoir que la station au tournant de la décennie est devenue un enfer pour la clientèle qui a le malheur d’y venir le week-end ou pendant les vacances (bref tous les locaux et comme les lits sont encore rares…). Les queues aux remontées y sont devenues « astronomiques » face au succès du domaine. Les téléskis doublés ne suffisent plus. Il est temps à la régie d’agir, et comme à l’époque animée de la création. Le domaine évolue fortement en quelques années financé cette fois par le Conseil Général (la régie se contente d’opérer la station). La priorité est donnée à la montée au Plomb qui ne débite que 400 p/h, le téléphérique étant alors le seul moyen d’accès. Elle souffre aussi du vent qui rend l’appareil une grande partie de la saison inutilisable. Le télésiège de la Combe est créé en 1980. Le second téléski de la Familiale de 1979 amène les skieurs au départ de celui-ci. Dans la foulée, les nouvelles pistes la Combe (noire) et de la Variante (rouge) sont tracées dans cette même combe. En 1981, la station se lance (enfin !) dans l’extension vers le col de Rombière en déposant un dossier UTN au Ministère. Le télésiège de Rombière est construit en 1984 avec au départ la seule bleue du Piquet pour revenir, suivi 2 ans plus tard par la nouvelle rouge du Griou. Entretemps la station a installé le télésiège du Baguet (1983) pour remonter la Familiale et joindre le télésiège de la Combe, offrant une flexibilité accrue pour la montée au Plomb par tout temps.  En 1984, les deux téléskis de Masseboeuf sont remplacés par un nouveau télésiège triplace puis en 1986 vient le tour de ceux des Gardes.


Cette période verra également un autre chantier de grande ampleur, qui n’est autre que la quasi-reconstruction du téléphérique du Plomb du Cantal. En effet, son faible débit est un vrai handicap, surtout pour une installation qui est censée être la colonne vertébrale de la station. Le constructeur isérois Poma, qui a réalisé la plupart des appareils de la station des années précédentes, sera de nouveau retenu pour ce chantier. Les travaux débutent à la fin de l’hiver 1988 pour une ouverture officiellement prévue pour la saison suivante 88/89. De l’ancien téléphérique, peu d’éléments sont conservés : les structures des gares et les bases des pylônes, qui reçoivent tout de même des aménagements spécifiques au nouvel appareil. Mis à part cela, tout est remis à neuf et amélioré : la vitesse maximale théorique passe de 9,5 m/s à 12,5 m/s tandis que la capacité des cabines est portée à 80 places, permettant de passer à un débit de 800 personnes/heure (à vitesse maximale, sachant que la vitesse normale d’exploitation est de 10 m/s). On retiendra également de cette construction les retards qu’elle a connus : rapidement une ouverture pour le début de la saison est illusoire. Et puis Poma, à l’époque, travaille sur un autre chantier de grande envergure, celui du téléphérique du Dôme des Petites Rousses à Vaujany (Isère), grand frère de celui de Lioran. L’accident survenu ce dernier le 13 janvier 1989, qui causa la mort de 8 personnes, a pour conséquence un arrêt des travaux du téléphérique du Lioran, dont la technologie  était la même, le temps d’effectuer de nouveaux tests. La saison 88/89 se passe du nouveau téléphérique (difficilement) et l’inauguration a finalement lieu le 22 juillet 1989.

 


Le nouveau téléphérique du Plomb du Cantal dans les années 90. (DDT Cantal)

 

Au total, entre 1984 et 1989, les investissements sur la station ont atteint près de 200 millions de Francs, principalement au niveau des remontées mécaniques, mais aussi pour ce qui est à l’époque une vraie nouveauté : la neige de culture. En effet, les hivers commencent à devenir plus capricieux, et pour assurer le manteau neigeux en toutes circonstances, la régie décide en 1986 de l’implantation d’une première tranche de 40 canons à neige sur la piste de la Familiale, qui ne seront que le début d’un réseau qui en compte aujourd’hui 223. Le manque de neige qui a conduit à l’installation de ces appareils sera malgré tout la cause, du moins en partie, de la période très maussade que connaîtra par la suite la station. La station ne disposant pas encore de réserves d’eau collinaires à l’époque (la première sera créée en 1996), l’enneigement artificiel restera dans un premier temps très limité par la ressource en eau.


La fin des années 80 voit les derniers développements de l’immobilier avant bien longtemps. Au tournant de la décennie, la station voit la construction de 2 immeubles Férinel  sur la prairie des Sagnes et de nouvelles résidences qui viennent compléter Font d’Alagnon, où le bâti devient continu avec l’ancien Lioran autour de la gare.


Les années glorieuses se terminent en 1992 par la construction du télésiège de la Prairie, à la place du téléski du même nom, ayant avant tout un rôle de remontée de liaison, avant que la gestion de la station soit brutalement réorganisée.

 

L’éclipse Transmontagne

 

Ce terme peut paraître un peu violent au premier abord ; néanmoins, il est finalement assez représentatif de ce qui a pu se passer durant cette période, qui s’est étalée de 1993 à 2007. La fin des années 80 est marquée par le manque de neige et les déficits d’exploitation qui vont avec. L’Etat intervient et souhaite la création de groupes aptes à gérer plus efficacement les stations que les sociétés isolées ou les collectivités  qui ont porté jusqu’à présent leur développement. La Compagnie des Alpes est ainsi créée en 1989, portée par le bras armé de l’Etat : la Caisse des Dépôts et Consignations. 25 ans plus tard, elle regroupe nombre des grandes stations des Alpes, comme Tignes, Val d’Isère, La Plagne, Chamonix.


Au Lioran, les saisons du début des années 90 ont été nettement déficitaires. Le Conseil Général du Cantal, propriétaire de la station, commence à songer à un nouveau type de gestion de la station qui, rappelons-le, fonctionnait depuis ses débuts ou presque grâce à une régie départementale. Le  CG cherche alors un professionnel de l’exploitation des domaines skiables qui gèrerait mieux que lui-même la station. A cette fin une SAEM, Super Lioran Développement,  associant public et privé, est constituée pour assurer la gestion et le développement commercial du Lioran, le Conseil Général restant quant à lui propriétaire des lieux et maître des différents investissements réalisés. Cette SAEM passe en 1993 un contrat d’opération avec la société privée Transmontagne, exploitant déjà la station de Val Fréjus ; lui délégant la charge de faire tourner le domaine et de réaliser les petits entretiens ; contrat d’une durée de 15 ans, renouvelable. Cette décision est approuvée à l’unanimité par les conseillers généraux.


La Société Anonyme Transmontagne, est une jeune société à l’époque puisque créée en 1990 et dont le siège est basé à Villeurbanne, dans le Rhône. En 1993 elle récupère Le Lioran et Pra Loup, puis par la suite le groupe se verra confier l’exploitation du funiculaire du Pic du Jer à Lourdes en 1996, de Chamrousse en 1998, de Superdévoluy en 1999, de Cap Découverte et du Ski Dôme de Dubaï en 2002, et enfin de la station de ski italienne de Bardonecchia en 2004, comportant au final 11 stations, pour un CA total de 150 MF. Dans le Cantal, elle prendra aussi la gestion de la base nautique de Gabarit et lorgnera un temps sur le Grand Site du Puy Mary, sans succès.


Transmontagne a été créée suivant le modèle de la Compagnie des Alpes (1989) mais disons toute de suite qu’elle est une pâle copie de cette dernière. Elle a comme actionnaires de référence la Caisse des Dépôts et la Lyonnaise des Eaux. Elle se contente au début d’opérer sous contrat les remontées mécaniques et dans le cas du Lioran, elle n’a pas à porter les investissements, ceux-ci restants à charge du CG.


En ce début de contrat, l’objectif est clair : améliorer la gestion et annualiser l’activité. Le nouvel opérateur rénove la communication de la station pour toucher une nouvelle clientèle en promouvant son côté nature, convivial, authentique (« Le Lioran, station grandeur nature ») et en organisant des coups médiatiques (raid IGN, trek équestre, championnat de France de VTT..). Elle agit aussi par contrats comme conseiller auprès du département et du Syndicat Mixte qui réalisent de nouveaux équipements : mise en glace vive de la patinoire, aménagement d’une halte-garderie et surtout en 1996 l’extension de l’enneigement artificiel. Une retenue de 38000m3 est creusée en 1997  en haut des Gardes. L’eau est pompée dans 4 torrents à proximité et envoyée dans la retenue. Une nouvelle usine de 420 m3/h est construite et une partie des pistes commence à être équipée d’enneigeurs basse pression.


Cependant très rapidement, les Cours Régionales des Comptes remarquent des irrégularités dans les la gestion par les collectivités des  contrats de Transmontagne (pour le Lioran, les contrôles ont eu lieu en 1998 et en 2006). On s’aperçoit que cette société se nourrit des collectivités locales, mais le pire sera atteint à Pra Loup et à la Foux d’Allos dans les Alpes de Haute Provence, où les relations sont quasiment mafieuses. Et elle sera même directement la cause de changement de majorité du Conseil Général de ce département en 2004.


La situation est malgré tout différente dans le Cantal : le CG est juste tancé de complaisance en passant commande de prestation additionnelle pourtant déjà incluse dans le contrat de base, et en plus sans appel d’offre.


Au début des années 2000, Transmontagne juge que son modèle d’opérateur  n’est pas assez rentable. Elle s’investit alors dans la gestion d’appartements locatifs où la marge y est plus confortable. La loi Demessine, votée en 99,  tombe à pic : elle propose de larges avantages fiscaux à un particulier investisseur de biens immobiliers neufs qui le loue à un professionnel touristique pendant une durée allant jusqu’à 20 ans. Transmontagne sera ce professionnel pour 2500 nouveaux appartements Demessine. Cependant, ce marché très lucratif pour tous les acteurs est rapidement sujet à toutes sortes de fraudes : les résidences se construisent en dehors de toute perspective de location, les loueurs commencent à recevoir des compensations, allant jusqu’à 20000 €, pour chaque appartement vendu (à la charge de l’acheteur qui du coup achète son appartement à une valeur bien supérieure à celle du marché) !
Pour un temps Le Lioran est épargné. Et pourtant si la station manque de lits, elle manque aussi de place pour construire de telles résidences aux pieds des pistes. Transmontagne commande alors un rapport opportun qui conclut à la nécessité de créer un cœur de station en déplaçant ou recouvrant les parkings. Suite à ce rapport, le Département commande une étude concernant la création d’un parking souterrain, qui ne sera finalement pas réalisé. Une résidence Demessine de 110 appartements sera quand même lancée fin 2005, Le grand Phénix, très mal placée en haut du Rocher du Cerf. Transmontagne attribue le marché à un promoteur qui s’avère finalement véreux et qui déposera le bilan peu après. La construction de la résidence étant pleine de malfaçons, la banque qui a garanti le bon achèvement fait faux bond. C’est un tel fiasco que même Transmontagne se retire ! Et 8 ans plus tard cette affaire n’est toujours pas réglée, l’immeuble reste inachevé et 178 propriétaires attendent toujours la livraison de leur appartement qu’ils continuent de rembourser tous les mois.


Ce ne sont que des exemples des problèmes engendrés par Transmontagne : des affaires similaires ont pu être observées dans les autres lieux gérés par la société. L’entreprise n’inspire tout simplement pas confiance trop avide de se nourrir sur les failles des partenariats public/privé.


En 2006/2007, la France est confrontée à un hiver particulièrement doux et pauvre en neige, et la station du Lioran n’est évidemment pas épargnée : elle connaîtra même plusieurs jours de fermeture totale de son domaine en plein mois de janvier pour cause de manque de neige. Cet hiver a bien évidemment eu un impact sur le chiffre d’affaires des stations françaises, qui se classe au rang du plus mauvais sur la décennie 2000-2010. Cela, plus des gestions plus que discutables, auront finalement raison de Transmontagne qui sera placée en redressement judiciaire le 17 juillet 2007. Par ailleurs, l’inquiétude se fera déjà ressentir avant cette décision au Lioran, puisque les salariés de la station n’avaient pas reçu leurs salaires du mois de juin. Une journée de grève avait même été organisée pour protester contre cela. Finalement, ces salaires sont honorés le 13 juillet. Face à cela, la SAEM Super Lioran Développement, autrement dit le Conseil Général du Cantal, reprend les choses en main, à savoir l’exploitation de la station pour la saison d’hiver 2007/2008, et ce alors que le contrat de Transmontagne était censé se finir en 2008. De toute façon, la liquidation judiciaire de la société est finalement annoncée le 22 octobre 2007, laissant derrière elle près de 17 millions d’euros de passifs !

 


Triste souvenir du Lioran, le 12 janvier 2007.

 

Quoiqu’il en soit, on retiendra principalement de ces quinze années de gestion un calme plat au niveau des investissements sur le domaine skiable, mis à part pour l’extension du réseau de neige de culture. Autrement, les gros chantiers de remontées mécaniques se sont principalement résumés à deux nouvelles installations : le télésiège débrayable du Plomb du Cantal en 2001, premier appareil de ce type dans le Massif Central, et le télésiège du Remberter en 2004. Et pourtant, des appareils dont le remplacement est aujourd’hui sérieusement envisagé comme les télésièges du Baguet et de Masseboeuf étaient tout aussi problématiques à l’époque.

 


Le télésiège débrayable du Plomb, principal investissement de la période 1990-2010. (Collection Laurent Berne – remontees-mecaniques.net)

 

Et maintenant…

 

Depuis l’automne 2007, c’est donc la SAEM Super Lioran Développement qui exploite le domaine skiable ainsi que la patinoire du Lioran. La société a par ailleurs cherché à vraiment se démarquer de son prédécesseur Transmontagne. Ainsi, une nouvelle politique a été mise en place. Au quotidien, on peut le voir tout d’abord sur l’exploitation du domaine skiable : à l’époque de Transmontagne, certaines pistes n’ouvraient jamais ; on pense notamment à la majorité des pistes noires de la station (Dujon, Crêtes, Parallèle, Combe, Font d’Alagnon). Cela a même conduit à la suppression pure et simple de 3 pistes (Variante, Combe, Font d’Alagnon). Depuis que la gestion a été confiée à la SAEM, ces pistes en question ouvrent quand même plus régulièrement. En d’autres endroits, les pistes sont élargies et reprofilées ; et pour la première fois depuis 1986, un nouvel itinéraire est créé (la rouge George Bouvet qui descend du Plomb offrant une alternative au très fréquenté Pas des Alpins). D’une façon générale, le travail de SAEM sur le domaine est remarquable par rapport à la période Transmontagne.


De plus, une nouvelle politique concernant les investissements a également été mise en place, la station cherchant à retrouver son dynamisme d’antan, en faisant avancer le plan de développement sur 20 ans, adopté à l’unanimité en 2005 par le Conseil Général. Ce plan très (trop ?) ambitieux passe en revue tous les atouts et handicaps de la station. Le but est de transformer à terme le Lioran en « éco-station de montagne, centré sur le sport, la forme et les activités de pleine nature », été et hiver. Le nouveau tunnel routier est alors en construction et ouvrira fin 2007.  Au niveau du domaine skiable, le développement de la neige de culture est mis en priorité pour faire face au climat. Mais de nouvelles remontées et une amélioration de l’existant est aussi prévu. L’ambition est de faire passer la capacité d’accueil de 6500 à 10000 lits, par rénovation de l’existant et création de nouvelles résidences sur la Prairie des Sagnes (avec déport d’une partie des parkings et création d’une navette en couloir propre), au niveau de la gare et à Font de Cère. Pour le développement des activités, un centre aqua ludique et un golf sont envisagés, ainsi que la création de nouveaux restaurants. Enfin tout un volet sur la communication complète le projet.


Les premières actions sont prises sur l’extension de ma neige de culture avec l’enneigement artificiel de la quasi-totalité des pistes du bas de la station, exception faite des pistes du Slalom, de la Nouvelle, de la Stade et du Griou. Pour ces trois dernières, l’installation de canons à neige est tout de même en projet. Mais la station manque de ressource en eau : une nouvelle retenue collinaire à côté de la Gare d’une capacité de 55000 m3 est créée en 2011 complétant les 35000 m3 de celle des Gardes. De quoi obtenir un réseau de neige de culture arrivé à maturité !


Parallèlement un travail de résolution du problème des parkings lors des périodes chargées est fait. Les déblais du tunnel sont utilisés pour créer un nouvel espace de stationnement de 500 véhicules. L’offre locative est diversifiée : un double centre de vacances VVF s’installe au Lioran. Des promoteurs privés lancent des projets de nouvelles constructions. Le Lioran « bouge » de nouveau.
Pour la saison 2013/2014, l’espace débutant est totalement revu avec l’installation pour la première fois dans le Massif Central de tapis débutants.
Cette dynamique d'investissement se poursuit en 2014 avec le remplacement du télésiège du Baguet. En effet, celui-ci, vétuste et lent, montrait déjà depuis un certain temps des signes de faiblesse évidents face à l'affluence dont il était victime. Il n'était ainsi pas rare d'attendre plus de 30 minutes en période de vacances scolaires avant de pouvoir embarquer sur l'appareil ! La décision a donc été prise de le remplacer par un télésiège débrayable à 6 places, le premier appareil de ce type dans le Massif Central ! Pour un investissement total de 5,9 M€, le Lioran a souhaité marquer le coup en dotant le télésiège de diverses options telles que le verrouillage des garde-corps en ligne ou encore le rangement des sièges en gare. Avec une vitesse en ligne plus que doublée par rapport à son prédécesseur, la montée sur cet axe a été complètement revue.

 


Le télésiège débrayable 6 places du Buron du Baguet. (Collection Laurent Berne - remontees-mecaniques.net)

 

Pour les prochaines années, la station devrait continuer sur cette lancée avec de nouveaux gros investissements, puisque le remplacement des télésièges de Masseboeuf et de la Combe est décidé pour les prochaines années. Pour au final obtenir un domaine skiable à la hauteur de son potentiel !

 


Le front de neige du Lioran en 2014. (Collection Laurent Berne – remontees-mecaniques.net)

 

Remerciements

 

Pour m'avoir grandement aidé dans la rédaction de ce récit, notamment à travers leur connaissances historiques sur le Lioran et leurs ressources, je tiens à remercier tout particulièrement Laurent et Denis.

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